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René Thomas-Nelson
René Thomas-Nelson, Directeur Innovation, Publicis Sapient

Le club Digital. For Good est un espace d’échange autour des sujets de sobriété numérique et de digital à impact, dont le lancement a eu lieu à l’incubateur parisien Station F le 2 décembre 2022.

Au programme :  décarbonation, économie des ressources, éco-conception et circularité. Par où commencer ?  Quels objectifs se donner ? Et quelle place pour la technologie dans cette équation ?

Le premier débat du club réunissait Anaïs Desmoulins, CEO de Sline -une startup qui accompagne les commerçants dans la mise en place de nouveaux modèles de l’économie d’usage-, et Benjamin Glaenzer, General Manager de Back Market for Business, qui réfléchissaient ensemble à comment assurer la transition des activités des entreprises vers des modèles circulaires plus responsables.

Innovation responsable : aller au-delà du paradoxe ?

La révolution numérique représente aujourd’hui 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, un chiffre 2 fois supérieur à celui du transport aérien.
Si nous ne faisons rien, cette augmentation pourrait atteindre 7% d’ici 2040.

La prise en compte de cette empreinte est une nécessité pour les entreprises et va bien au-delà d’une simple obligation légale :
La question n’est plus de savoir si nous devons le faire, mais quand et comment ?

Pour faire face à ce défi, il faut résoudre la tension qui existe entre l’innovation qui cherche la croissance et l’impact, d’un côté, et la responsabilité qui implique justement la réduction des impacts, de l’autre. La première solution est de concentrer nos efforts sur la réduction des impacts du modèle actuel, mais cela risque d’être insuffisant.

La deuxième solution s’avère plus prometteuse : l’innovation responsable.
Il s'agit d'une approche qui vise à repenser fondamentalement les modèles économiques, même si elle implique la recherche de nouvelles sources de revenus.

Les nouveaux modèles s’inspirent alors de l’économie circulaire (produire des biens et services de façon responsable et durable), de l’économie collaborative (optimiser l’usage en partageant les produits avec autrui), ou encore de l’économie d’usage (accéder à des objets sans jamais les posséder).

« Les consommateurs sont prêts, mais les entreprises hésitent encore à franchir ce pas et opérer les transformations nécessaires. »
René Thomas-Nelson
René Thomas-Nelson, Directeur Innovation, Publicis Sapient

Économie circulaire, collaborative et d’usage : pourquoi ces modèles changent la donne ?

« Plus que jamais, nous savons que nous ne vivons pas dans un monde aux ressources infinies » explique Anaïs Desmoulins, CEO de Sline, une startup qui accompagne les commerçants dans le lancement d’une offre de location.

Acheter d’occasion, réparer ou même louer, les alternatives à l’achat représentent une tendance de fond qui touche de plus en plus de Français. Une pratique qui est au cœur du modèle de Back Market : « entre le neuf et le reconditionné, vous réduisez de 90% votre empreinte carbone, soit 127kg de CO2 économisé pour un ordinateur portable, ce qui représente un vol Paris-Montpellier, et 77 kg pour un smartphone, ce qui équivaut à un Paris-Nantes [1]», explique Benjamin Glaenzer, General Manager de Back Market for Business.

Une tendance qui va de pair avec la réparation : « 40% des Français se posent la question de la réparation de leurs produits avant l’achat » précise Anaïs Desmoulins, un phénomène en progression selon l’Ademe : en 2020, 81% des Français ont une bonne image de la réparation, soit 7 points de plus qu'en 2014. Des mentalités qui évoluent aussi sur la location : 24% des Français sont prêts à louer plutôt qu’acheter, un chiffre qui grimpe à 50% sur les 18-30 ans ! Des foyers autrefois prêts à investir 1500 euros dans un téléphone préfèrent aujourd’hui le louer.
Le potentiel est là, l’envie est là du côté des consommateurs, mais ce changement de paradigme est un défi pour les entreprises.

[1] Source : Calculateur carbone de l’Ademe.

« Convaincre les entreprises d’adopter ces nouveaux modèles suppose d’arriver à rassurer sur la fiabilité et la qualité des produits reconditionnés, en démontrant cette fiabilité et en rassurant à travers des garanties fortes. »
Benjamin Glaenzer
Benjamin Glaenzer, General Manager, BackMarket for Business

Pas de nouveaux modèles sans structuration des filières ?

Le développement de ces nouveaux modèles se déroule dans des secteurs où les filières sont bien établies et matures, comme l'industrie automobile par exemple où les constructeurs mettent en place des filiales de reconditionnement des véhicules ou l’achat de marketplace de pièces détachées d’occasion pour favoriser la réparation. Sur ce sujet de la réparabilité, des marques de retail comme Darty change en profondeur leur manière de fonctionner avec le passage d’une image fondée sur le rapport qualité-prix vers le service, une transformation qui les oblige à repenser toute la filière en sélectionnant des produits plus facilement réparables et qui vont permettre de tenir la promesse de durabilité.

« En revanche, certains secteurs comme le textile et le mobilier éprouvent beaucoup plus de difficultés à se développer dans la réparation et la location, pour une raison simple : les filières ne sont pas encore complètement structurées à l’échelle industrielle » explique Anaïs Desmoulins. « Aujourd’hui, c’est plus facile de faire réparer une tablette qu’un canapé ou de rapiécer un pull ! » En raison du coût de ces produits, la viabilité est plus difficile à trouver : comment assurer une rentabilité du reconditionnement pour que le modèle économique reste pertinent ?

Ces enjeux de « structuration de filières sont clés pour que l’économie d’usage devienne une norme dans le retail », conclut-elle, mais c’est aussi une question de confiance : « Il faut être prêt à accepter de remettre en cause son modèle, et cela passe par la confiance en ces nouveaux acteurs qui structurent ces filières » sur le reconditionnement, la réparation et la logistique.

« Il n’y aura pas de réel déploiement de l’économie d’usage sans les maillons clés de la chaîne qui sont les acteurs du reconditionnement et de la réparation. C’est impossible. »
Anaïs Desmoulins
Anaïs Desmoulins, CEO, Sline

Comment accélérer l’adoption de ces modèles par les entreprises ?

Attentes des consommateurs, structuration des filières, aujourd’hui l’étape majeure est l’adoption de ces modèles par les entreprises : il faut éduquer et accompagner celles-ci dans cette transformation.

Les deux invités du club Digital. For Good identifient ainsi 3 enjeux majeurs :

1 - L’éducation des professionnels sur ces nouveaux modèles, et une capacité à faire évoluer leurs attentes : pour Benjamin Glaenzer, en charge du lancement en 2022 de l’offre B2B Back Market Pro, se tourner vers les entreprises supposent d’arriver à rassurer sur la « fiabilité et la qualité des produits reconditionnés » et cela implique d’arriver à « faire la démonstration de cette fiabilité » mais aussi de rassurer à travers des garanties fortes.

Un business model fondé sur l’usage ne vise pas la maximisation de la marge et des volumes mais justement de l’usage d’un produit, de sa qualité et de sa durabilité. Les structures de coûts peuvent paraître faibles au départ, mais dès qu’on identifie le bon usage, qu’on parvient à le faire adopter, la rentabilité peut décoller : le modèle d’Airbnb l’a montré en l’appliquant à l’immobilier.

2 - Proposer le même niveau de service, et tirer parti des données pour en proposer de nouveaux : dans le développement de sa nouvelle offre BtoB, Back Market fait face à un défi : sur le neuf, les entreprises sont habituées à voir leur machine défectueuse remplacée à J+1 ou à la réparation sur place. Il faut « viser ce niveau de service, c’est obligatoire pour convaincre des entreprises qui ne peuvent pas se passer de leur outil de travail pendant plusieurs jours ! » explique Benjamin Glaenzer qui propose dès aujourd’hui de « fournir des machines de remplacement pendant la réparation du produit défectueux ».

La donnée est un maillon essentiel pour mieux connaître le consommateur, son intensité d’usage et, pourquoi pas, identifier des opportunités de proposer de nouveaux services : par exemple, Publicis Sapient travaille actuellement avec un constructeur d’automobiles électriques pour créer le Airbnb des bornes de rechargement : l’idée est que les propriétaires de ces bornes puissent les louer à des propriétaires de véhicules électriques, c’est un vrai besoin et la donnée est là pour créer ce nouveau service.

3 - Sans doute le plus délicat, le dernier enjeu est la désirabilité du reconditionné : comment faire accepter de ne pas toujours avoir les produits les plus récents ? « Avec le cycle du reconditionné, vous n’avez pas toujours l’iPhone 14 mais le 11, 12 ou 13 » admet Benjamin Glaenzer. Toutefois, dans ce modèle d’économie d’usage et dans un objectif de sobriété, il faut faire primer « la connaissance des usages et des besoins des clients » pour proposer des machines adaptées plutôt que systématiquement les produits dernier cri.

Repenser ses modèles ne peut se faire sans remise en cause. Des acteurs comme Back Market et Sline montrent combien le digital est un outil puissant pour réussir à grimper cette marche. Un formidable levier de créativité - et d’engagement !

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